Surville : retour vers le futur (7)
ous retrouvons pour la première fois de l’année, mais pas la dernière, bien entendu, la nécessaire chronique de Mathieu PERCHEMINIER.
Nous nous apercevrons aujourd’hui des conséquences sur le terrain des changements brutaux de sratégie…
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La promotion des villes nouvelles au détriment des villes satellites,
un revirement lourd de conséquences
(épisode 6)
« Mettez-moi de l’ordre dans ce merdier »[1]
Telle fut, selon l’anecdote, la phrase prononcée lors d’un survol de la banlieue parisienne en hélicoptère en 1963 par le général de Gaulle, à l’attention de Paul Delouvrier, ancien résistant devenu délégué général du district de la Région parisienne à sa création en 1961.
La situation d’après guerre exigeait effectivement une planification organisée de la croissance de la région parisienne. Le PADOG était sensé être le document planifiant la feuille de route à suivre afin de répondre aux problématiques de la région parisienne. S’y dégageait une orientation claire : se consacrer aux zones périphériques de la région, et notamment aux villes satellites auxquelles on avait intimé un développement très rapide aussi bien dans le domaine démographique qu’économique.
Or, dès 1963, Paul Delouvrier annonce dans le Livre blanc [2] que « la population de la région parisienne serait comprise entre 12 et 16 millions d’habitants dans les plus hautes hypothèses, au lieu des 8 millions et demi qu’elle comportait à l’époque ». Le PADOG ne tablait pas sur autant…
Selon Jean Millier, collaborateur de Delouvrier, « au sein de l’IAURP[3], les études et réflexions montraient déjà que le PADOG était un document trop restrictif sur le plan géographique et qu’il ne pouvait pas répondre aux besoins d’extension de la région parisienne »[4]. Dès 1962, c’est-à-dire deux ans seulement après sa parution, le plan n’était déjà plus respecté et les dérogations pour passer outre les limites qu’il imposait en matière de construction se multipliaient.
Le PADOG pêchait par l’absence de vision stratégique et de perspectives à moyen terme. Il consistait en une simple restructuration urbaine et non en une organisation de l’extension urbaine.
Il s’agissait alors de repenser l’ensemble de la région parisienne, ce que ne permettait pas le PADOG.
A partir des années 1963 – 1964, compte tenu des perspectives d’évolution annoncées, les pouvoirs publics bouleversent l’existant et se dotent d’outils afin de faire face. Des études sont menées par l’IAURP en 1963 et 1964 préalablement à la publication d’un nouveau plan d’aménagement.
Tout d’abord, afin d’appuyer une politique de décentralisation, la Délégation à l’Aménagement Territorial et à l’Action Régionale (DATAR) est créée le 14 février 1963. C’est une administration de mission qui dépend alors directement du Premier ministre, avant d’être rattachée plus tard à différents ministères (de l’intérieur, de l’environnement,…). Composée entre autres de hauts fonctionnaires, d’universitaires, elle est notamment chargée, par l’intermédiaire du Comité de Décentralisation, de faire appliquer les mesures prises en matière d’agrément et de redevances, de réfléchir aux nouvelles activités industrielles, à l’armature urbaine française, à l’aménagement des littoraux et des régions rurales,… Olivier Guichard, l’un de ses fondateurs, en prend la direction.
Par ailleurs, suite à la loi du 10 juillet 1964, la région parisienne est redécoupée et rebaptisée Ile-de-France. Outre la Ville de Paris, elle compte 7 départements. Sont créés de toute pièce le Val-de-Marne, les Hauts-de-Seine, le Val-d’Oise, l’Essonne, les Yvelines et la Seine-Saint-Denis ; la Seine et Marne n’a pas changé). Un décret du 10 août 1966 lui institue un préfet. L’objectif affiché est de faire coïncider le régime administratif de la région avec sa réalité sociologique.
Tombé très tôt dans l’oubli, le PADOG laisse place au Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme (SDAU) d’Ile-de-France dont la parution le 22 juin 1965 concrétise un changement de stratégie brutal quant à l’aménagement et l’extension de la région parisienne.
« Olivier Guichard décide de remettre en cause huit grands ensembles de la région parisienne : Montereau, Mantes-Buchelay, Champigny, Bessancourt II, Plessis-Bouchard II, Sarcelles-Chardonnerettes, Cormeilles-en-Parisis, Neuville-sur-Oise. »[5]
Le SDAU, préparé sous l’égide du délégué général de district, traduit bien la nouvelle priorité : les villes nouvelles « apparaissaient à la fois comme les pôles d’organisation de l’expansion urbaine et les principaux leviers de la politique de desserrement et de décentralisation des activités. Elles constituaient ainsi la clef non seulement du rééquilibrage interne de la région, mais également du contrôle de son développement »[6]. Leur vocation est donc clairement de structurer l’agglomération à la fois dans son état actuel et son extension. On écarte la possibilité de créer des villes nouvelles trop loin de Paris, « au niveau par exemple d’Etampes, Mantes, Meaux,… »[7], car elles risquaient de concurrencer les cités de la très grande couronne telles Orléans, Amiens ou Rouen. Le nouveau découpage évoqué plus haut coïncide avec les projets d’aménagements dégagés dans le SDAU. Le choix des chefs-lieux des départements créés correspond également à des préoccupations démographiques : Nanterre (92), Bobigny (93) et Créteil (94) y sont désignés pôles de restructuration de la banlieue actuelle, Pontoise (95) et Evry (91) sont promues villes nouvelles.
Cinq ans seulement après s’être lancés dans l’aventure des villes satellites, celles-ci se voient déclassées par les villes nouvelles. On attribue à ces dernières un rôle assez semblable que celui des villes satellites passées à la trappe :
« Les villes nouvelles parisiennes apparaissent davantage comme des villes satellites redistribuant la croissance dans la proximité immédiate de l’agglomération »[8].
La différence principale réside dans la taille qu’elles doivent prendre. On envisage effectivement d’en faire des pôles urbains autosuffisants et indépendants de 250.000 habitants environ. Par ailleurs, les ZUP sont désormais considérées comme un modèle urbain à ne pas reproduire…
Conçues et imaginées au milieu des années 1960, la politique des villes nouvelles est officiellement lancée le 10 juillet 1970[9], sous la directive de Georges Pompidou.
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En Seine-et-Marne, les deux villes nouvelles créées (Melun-Sénart qui remplace Tigery-Lieusaint lors de la révision du SDAU en 1969) et Marne-la-Vallée ont une incidence directe sur les ex-villes satellites que sont Montereau et Meaux, puisqu’elles annihilent les ambitions et moyens placés dans ces deux villes, et ont des conséquences très lourdes dans leur développement projeté.
Initialement promue comme pôle de développement régional, Montereau sera désignée dans le SDAU de la région parisienne de 1980, comme « grande zone d’activités apte à recueillir des activités polluantes ou nuisantes »[11]. Le changement de registre est saisissant. De capitale régionale, elle est amenée à devenir petit à petit et selon la volonté même des décideurs, un exutoire des activités dont personne ne veut.
Au conseil municipal, la décision d’abandonner la politique des villes satellites a, comme on peut se le figurer, un grand retentissement. Les municipalités de gauche (Ettedgui et Alvarès) dirigeant la commune à partir de 1971 n’ont pas de mots assez durs. On fustige « la néfaste politique gouvernementale des villes nouvelles et d’aménagement du territoire »[12] :
« Tous les habitants de Montereau savent comment les ministres successifs de l’Equipement et de l’Aménagement du Territoire ont provoqué puis annulé la politique de développement des 3 M (Meaux-Melun-Montereau) »[13].
Jusqu’au début des années 1980, l’aberration de l’aménagement du territoire est régulièrement rappelée dans les bulletins municipaux afin d’expliquer à la population monterelaise les causes profondes des difficultés rencontrées avec le grand ensemble de Surville et l’emploi :
« Surville est une ZUP inachevée, mutilée [car] en 1957, les Pouvoirs Publics décidaient de créer autour de la Capitale des villes satellites. Montereau était de celles-ci. (…) Hélas, il fallait déchanter, les Pouvoirs Publics abandonnant la politique des villes satellites pour la politique des villes nouvelles. L’élan était stoppé, Montereau abandonnée avec près de 4.000 logements mais sans implantation industrielle nouvelle »[14].
Quoi qu’il en soit, après cette décision arbitraire des pouvoirs publics, ce sont les villes nouvelles qui ont le vent en poupe, et les villes satellites que l’on délaisse. Cet état de fait est souvent ignoré dans les manuels généraux traitant de la banlieue parisienne. Certains considèrent peut être l’expérience des 4 M comme suffisamment courte dans le temps pour être passée sous silence. Demeure un problème, et il est de taille : malgré tout, des personnes vivent à Montereau, Meaux ou Mantes-la-Jolie. Est-ce à elles de devoir supporter une situation qui leur échappe depuis le début ?
Mathieu PERCHEMINIER
Chargé de mission en développement social
[1] Pouvoirs locaux -les cahiers de la décentralisation-, Villes nouvelles : le tournant du politique, n° 60, Paris, mars 2004, p. 99. [2] Le Livre blanc est également appelé Avant projet de programme duodécennal pour la région de Paris.
[3] Institut d’Aménagement et d’Urbanisme de la Région Parisienne. Créé la même année que le District de Région Parisienne, en 1961, c’est un organisme d’études placé sous l’autorité directe du délégué général, puis du préfet de la région parisienne. Il est chargé des études de plan d’urbanisme d’importance régionale, des études générales et des recheches préalables à la prise des décisions concernant l’organisation du développement de la région dans le temps et l’espace. Il produit des publications : les Cahiers de l’IAURP (puis de l’IAURIF) depuis 1964, et un Bulletin d’information.
[4] Institut Paul Delouvrier, Programme d’histoire et d’évaluation des villes nouvelles françaises, L’aménagement de la région parisienne (1961-1969), le témoignage de Paul Delouvrier, Presses de l’école nationale des Ponts et Chaussées, Paris, 2003, p.37.
[5] Carmona Michel, Le Grand Paris, l’évolution de l’idée d’aménagement de la région parisienne, Bagneux, 1979, p.543.
[6] Préfecture de la région Ile de France, Projet de Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme de la région d’Ile de France, octobre 1980, introduction (présentation de l’évolution de la région de 1965 à 1980).
[7] Jean Steinberg, Les villes nouvelles d’Ile de France, Masson, Paris, 1981, p.70.
[8] Hervé Vieillard-Baron, Les banlieues, des singularités françaises aux réalités mondiales, Hachette supérieur, Carré géographie, Paris, 2001, p.97.
[9] Hervé Vieillard Baron, Les banlieues, des singularités françaises aux réalités mondiales, Hachette supérieur, Carré géographie, Paris, 2001.
[10]Vieillard-Baron Hervé, Les banlieues, des singularités françaises aux réalités mondiales, Hachette Supérieur, Carré géographie, Paris, 2001, p.98
[11] SDAU d’Ile-de-France, 1980,page 78.
[12] Ville de Montereau-fault-Yonne, Bulletin municipal, janvier 1976, p.4.
[13] Ville de Montereau-fault-Yonne, Bulletin municipal, avril 1978, p.2.
[14] Ville de Montereau-fault-Yonne, Bulletin municipal – Quel avenir pour notre ville ? , juin 1982.
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A suivre !
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